« Face au changement climatique, il faut davantage surveiller les bioagresseurs »
Si l’impact du changement climatique sur la dynamique des bioagresseurs est encore difficile à prédire, Frédéric Suffert, épidémiologiste en santé végétale de l’Inrae, a appelé à une vigilance renforcée lors du colloque sur la surveillance sanitaire des cultures organisé le 8 novembre 2023 par les chambres d’agriculture de la Normandie.
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Est-il possible d’anticiper l’évolution de la santé des cultures sous l’effet du changement climatique ?
Frédéric Suffert : En épidémiologie, la prédiction est hasardeuse car les variables environnementales influençant l’évolution d’une maladie sont multiples. Cette influence dépend des spécificités de chaque agent pathogène, de la plante hôte et des pratiques agronomiques.
La septoriose du blé et la rouille jaune illustrent bien ces différences. La diversité des souches de septoriose dans une même parcelle lui confère une capacité d’adaptation aux variations de températures. Mais la pluviométrie du printemps est en pratique plus limitante. La rouille jaune, dont quelques « races » sont majoritaires à l’échelle européenne, s’adapte rapidement aux résistances variétales qu’elle contourne. Sa capacité d’adaptation aux variations de températures semble moins déterminante.
Toutefois, l’impact du changement climatique sur les dynamiques des bioagresseurs est à prendre au sérieux. En moyenne, les ravageurs des cultures et les adventices sont responsables de pertes de 17 à 30 % du rendement mondial (1), soit 16,9 q/ha sur 70 q/ha pour un blé.
De quelle manière le changement climatique impacte-t-il les pathologies végétales ou maladies des cultures ?
Les évolutions de la température moyenne sont évidemment déterminantes, poursuit l’épidémiologiste. Notre vigilance doit s’élargir aux écarts quotidiens et aux gammes de températures dites « suboptimales » auxquelles l’agent pathogène se développe lentement. Ainsi, un hiver doux est favorable au maintien d’une population importante de rouille jaune et accentue la pression de la maladie au printemps. J’invite à relever notre vigilance au cours des périodes habituellement considérées comme moins critiques.
La teneur en dioxyde de carbone de l’atmosphère pourrait également jouer un rôle sur le développement des maladies mais ce rôle est encore insuffisamment caractérisé.
Vous attirez l’attention sur une potentielle réapparition de la rouille noire ?
Des foyers non dommageables ont été observés en 2021 et 2022 sur des fins de cycles du blé. La question se pose de savoir si la rouille noire réémerge réellement, sachant qu’elle apprécie des températures plus élevées que les autres rouilles.
Que conseillez-vous aux agriculteurs ?
Concernant la rouille noire, j’invite les agriculteurs à observer et faire remonter aux réseaux de surveillance les comportements anormaux afin que des échantillons puissent être prélevés. Pour notre part, nous engageons un projet de recherche pour 2024-2026 associant les semenciers pour évaluer la sensibilité des variétés de blé actuelles à cette maladie.
La veille doit s’accompagner d’une vigilance concernant l’implantation d’épine-vinette dans les haies, hôte « alternant » de la rouille noire. Cette précaution concerne également les espèces « réservoir » d’autres ravageurs. J’ajouterai que les mélanges variétaux me semblent une façon intéressante de stabiliser les rendements en jouant sur les capacités de compensation entre variétés dans une même parcelle.
(1) The Global burden of pathogens and pests on major food crops, Serge Savary et al., mars 2019, Nature Ecology & Evolution.
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